Talweg 06, La distance
Pétrole édition, 2021
Talweg 06 rassemble 21 artistes et auteur·ices autour de la notion de « distance ». Par le biais de l’écriture poétique ou fictionnelle, de la photographie, du dessin, de la sculpture, de l’enquête, du protocole, du récit d’expérience, de la cartographie, chacun·e d’entre eux s’approprie cette notion et développe une proposition singulière. Ensemble, ils évoquent une distance polysémique et plurielle.
Il est ainsi question de la dimension sociale de la distance, dans sa relation aux contraintes de la mobilité et du travail ; mais aussi de la représentation des distances, des façons de les mesurer, des perceptions sensorielles et émotionnelles qu’on peut en avoir.
Talweg 6 emprunte ses dimensions aux normes américaines des courriers administratifs, et notamment au format dit « foolscap ». Cette allusion au courrier vise à placer l’objet éditorial dans le champ de la lettre, écriture de la distance par excellence. La reliure contribue à renforcer ce sentiment, évoquant le bloc de correspondance. Talweg 06 fait entrer en conversation l’ensemble des propositions par un système graphique fonctionnant par échos et renvois, rendant concrète l’appréhension de la notion de distance par le lecteur.
2021
Galerie MyMonkey, 2016
Pour l’exposition Eigengrau à la Galerie Poirel, Nancy
Claire Hannicq explore la notion de disparition. Son travail est principalement sculptural mais il touche également les arts graphiques, la photographie, la projection et l’installation web. Image-fumée de prime abord est un rectangle monochrome gris aux dimensions de 200×300 cm. Il reflète la lumière d’un vidéo-projecteur sans artifice apparent. Par le déplacement de son corps dans l’espace, le visiteur dévoile une autre réalité. Lorsqu’il passe devant l’écran de projection, son ombre portée révèle une image imprimée, une photographie représentant une fumée dense, préalablement dissimulée par la projection de son propre négatif. Bien qu’exposée, elle est soustraite au regard par un jeu d’annihilation des opposés – pixels positifs imprimés et négatifs projetés. Le spectateur fait lui-même partie de l’œuvre et la transforme sans cesse au gré de ses déplacements. Il se confronte à son ombre, forme abstraite absorbant le faisceau lumineux. Entre Hypnos et Thanatos, entre sommeil et mort, l’obscurité générée dévoile un monde indicible gorgé de mystères. Ici, ce qui est perceptible n’est pas forcément ce qui est vu. Dans ce cas présent, le visiteur rend tangible la preuve que l’Eigengrau est une porte possible vers un imaginaire nourri d’inquiétudes.
Daniel Fiset, pour Ciel Variable, 2016
Pour l’exposition Loin des yeux au Centre Optica, Montréal
Avec Loin des yeux, montée à Optica le printemps dernier, la commissaire Claire Moeder a présenté un projet d’une cohérence remarquable, exposant avec sobriété et intelligence le travail d’artistes locaux et étrangers qui ont abordé les seuils de la visibilité dans leur pratique. Le choix judicieux des artistes ainsi que le placement des œuvres dans les deux espaces du centre d’artistes ont contribué à créer une unité conceptuelle et formelle redoutablement efficace, donnant aux visiteurs matière à réflexion sur l’ambiguïté de la représentation en régime contemporain.
L’expérience de Le masque et le miroir de Julien Discrit est symptomatique de l’effet de l’exposition sur le regardeur, que Moeder désigne dans le texte d’introduction comme une « frustration latente ». Cherchant à discerner un mot imprimé sur papier et encadré sous verre dépoli, on se voit forcé d’effectuer un va-et-vient constant avec l’objet afin d’y tenter une lecture. L’exposition invite sans cesse au mouvement : mouvement de l’œil qui balaie la surface des œuvres à la recherche d’indices, mais également mouvement du corps qui fait se dévoiler certaines des œuvres de l’exposition. Dans Ashes, Claire Hannicq fait littéralement renaître l’image de ses cendres par le mouvement. Un rectangle blanc de contreplaqué, appuyé contre un mur et fortement éclairé, vient se refléter dans un tirage photographique sous verre montrant des cendres, placé juste devant la forme rectangulaire. Par son déplacement dans l’espace, le regardeur contrôle l’apparition spectrale de l’image.
La photographie occupe une place de choix dans la réflexion de Moeder sur l’oscillation entre visibilité et invisibilité. Les particularités matérielles et techniques des procédés photographiques argentiques participent parfois à la création d’archives qui résistent au regard, laissant l’image évanescente disparaître à tout jamais sur la surface photosensible…
Suite de l’article dans les versions imprimée et numérique du magazine.
Jérôme Delgado, pour Le Devoir, 2016
Pour l’exposition Loin des yeux au Centre Optica, Montréal
L’expérience du (in)visible
Une série de négatifs raturés, un livre sans images et une flopée de lumières éblouissantes. Il est beaucoup question de l’impossibilité de voir dans l’exposition Loin des yeux, la dernière du centre Optica avant la trêve estivale. Pourtant, ce sont bel et bien des œuvres photographiques et vidéographiques qui ont été réunies par la commissaire indépendante Claire Moeder.
Et si la photographie était autre chose que de la capture d’images ? À voir ce que les six artistes et collectif de Loin des yeux proposent, il faut bien arriver à cette conclusion. L’image brille par son absence. Quand elle finit par apparaître, notamment dans le projet Web Les disparaissants de Claire Hannicq, c’est pour aussitôt disparaître. Les objets en plomb fabriqués puis photographiés par l’artiste de Besançon, en France, ne sont visibles qu’une seule fois. Objet de mémoire, la photo perd ici une de ses principales fonctions.
La dimension critique de l’exposition prend pied dans un constat qui fait consensus depuis bon nombre d’années : la prolifération des images dans nos sociétés est insensée. Nous sommes devant tellement de photos qu’on ne les voit plus.
L’approche de Claire Moeder ne consiste pas à répertorier les effets de cette abondance visuelle, ce qu’ont fait, déjà, parmi d’autres, les deux dernières éditions du Mois de la photo à Montréal (sur le thème de l’automatisation, en 2013, et de la postphotographie en 2015). Moeder a plutôt opté pour le contraire en se tournant vers ces pratiques qui scrutent la condition invisible de la photographie.
A priori, il n’y a pas grand-chose à voir dans les deux salles d’Optica. L’œuvre Décalques de Julien Discrit en est presque l’emblème. Dans cette installation lumineuse qui ne s’active que de manière très espacée dans le temps, il n’y a aucune impression sur papier, aucune image en mouvement. La fiche technique parle de « verre trempé, projecteur lampe halogène, programme informatique, câble d’acier ».
Paysage de lumière
Quand l’œuvre de cet autre Français, de Reims, lui, se met en marche, c’est dans un paysage de lumière que le spectateur plonge. Décalques porte d’ailleurs cet autre titre, plutôt évocateur : Ciel voilé et soleil couchant d’un après-midi d’été, sur les bords du fleuve Saint-Laurent, près d’une pile du pont Jacques-Cartier, le 27 juillet 2015 à 19 h 58. On est devant l’essence de ce qu’est la photographie, sa matière de base, la lumière.
Si la lumière n’est pas la chose la moins visible de la photo, elle est celle qui nous fait détourner les yeux. Il n’est pas conseillé de défier par la vue la lumière, et c’est ce qui caractérise les propositions vidéo des deux Québécoises de l’exposition (Alana Riley et Jacinthe Lessard-L.), tout comme celle d’Anouk Kruithof, des Pays-Bas, ou de la seconde œuvre de Claire Hannicq. Un éclairage brutal, de front, empêche la lecture facile et fait disparaître toute trace de récit, comme s’il brûlait son sujet.
Il n’est pas tant question de surexposition que de faire de la lumière l’objet de la prise de vue. Non sans humour, comme chez Alana Riley, dont l’œuvre, diffusée sur un robuste téléviseur, s’intitule Dans la lumière (Voici ce à quoi ressemble 500000 watts de son et lumière combiné à plus de 40 motocyclettes en marche).
Ici, comme ailleurs, l’impression de vide, du rien-à-voir, s’estompe. Le détournement, le renversement, voire la coloration d’une surface sont des procédés ou la résultante de différentes manières d’explorer l’image. Brouiller l’image ou la montrer en mots, comme chez le collectif européen Pétrel/Roumagnac, c’est un peu, beaucoup, pousser le visiteur dans une expérience inusitée de la photographie.
Certes, l’expérience peut s’avérer physiquement éprouvante. Trop de lumière, comme trop de photos, ne rend-il pas aveugle ?
Alice Marquaille & Sandrine Wymann, 2014
Pour l’exposition Flumen à la Kunsthalle Mulhouse
Masse, multitudes, termes, galaxie, sont des mots utilisés par Claire Hannicq. Ils aident à toucher du doigt, à l’image de la double empreinte filiale, son œuvre. Elle se saisit, telle une géophysicienne, de la terre et du ciel afin de comprendre cet univers qui est le nôtre. Ses images montrent une vraie présence de la matière qui les compose, plomb, argile ou papier, créant un flottement entre les notions de fabrication et de représentation.
Masse, Vielzahl, Ausdruck, Galaxie, sind von Claire Hannicq benutzte Wörter. Sie helfen, mit dem Finger zu berühren – wie bei ihrem Kunstwerk mit dem doppelten Vater-Tochter-Fingerabdruck. Wie eine Geophysiker in greift sie zu Erde und Himmel, um dieses unser Universum zu verstehen. Ihre Bilder zeigen eine starke Präsenz der Materie, aus der sie bestehen, Blei, Ton oder Papier, und verbinden dabei in fließender Bewegung die Begriffe der Herstellung und der Darstellung.